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« Bien-être » : Nathan Hill révèle la puissance des histoires qu’on se raconte

« Bien-être » (Wellness), de Nathan Hill, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, Gallimard, « Du monde entier », 688 p., 26 €, numérique 16 €.
Il peut arriver que les plus fervents sectateurs du roman perdent la foi. Et si la littérature en avait pour de bon fini avec la fiction ? Et si celle-ci n’était plus capable de métaboliser le monde et son chaos, de leur donner une forme ? Si l’omniprésence des écrans de toute sorte avait reconfiguré nos cerveaux et mis à mal la disponibilité mentale exigée par la lecture d’un roman ? Sans parler du règne des séries, dont certaines sont dotées d’une ahurissante qualité narrative, qui a peut-être déplacé nos attentes…
Faudrait-il, alors, se résoudre à un rétrécissement des imaginaires, du côté des auteurs comme des lecteurs, et admettre que le plus intéressant de l’actualité éditoriale soit à chercher du côté des récits de soi, exofictions et autres enquêtes littéraires, en tout cas de cette non-fiction toujours plus hégémonique en librairie ?
La plupart du temps, ces questions résonnent dans un vide qui ressemble à un début de confirmation. Et puis, de loin en loin, un texte déboule et vient mettre à bas ces doutes dans un fracassant éclat de rire. Bien-être, de Nathan Hill, est de ces restaurateurs de la foi. Le roman n’est pas mort, il peut garder intactes sa puissance et sa vitalité, sa capacité à parler de chacun, à dire les tremblements d’une époque, à maintenir le lecteur loin de ses notifications en tout genre : c’est ce que vient démontrer avec panache le deuxième livre de l’écrivain américain né en 1975.
Les admirateurs du précédent, le pro­digieux Les Fantômes du vieux pays (Gallimard, 2017), l’attendaient en trépignant depuis sept ans. Sacré à l’époque « meilleur nouvel auteur américain de ­fiction » par John Irving, Nathan Hill confirme haut la main sa place d’héritier de celui-ci. Conteur virtuose et généreux, il met son talent au service d’un ample texte – près de 700 pages sous la toise – qui excelle à faire rire le lecteur comme à lui piétiner le cœur et à l’instruire sur le monde dans lequel il vit. Il y est autant question d’amour que d’algorithmes, de polarisation politique que de la manie de quantifier nos pas, des paysages américains que de pensée positive, de fake news et d’éducation.
Bien-être multiplie les allers-retours dans le temps. On y suit un couple, Jack et Elizabeth, de leur rencontre aux allures de comédie romantique, à Chicago, dans les années 1990, jusqu’à 2014, et leurs difficultés de quadragénaires parents d’un jeune enfant, plus tout à fait sûrs de ce qu’ils font ensemble – enfin, c’est Elizabeth, surtout, qui s’interroge. Le roman remonte dans leur histoire commune, mais aussi dans leurs enfances solitaires et malheureuses, chacun à un bout du pays et de l’échiquier social.
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